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    Aidons-nous naturellement,

    La charge des malheurs en sera plus lègére ;

    Le bien que l'on fait à son frère

    Pour le mal que l'on souffre est un soulagement.

    Confucius l'a dit ; suivons tous sa doctrine :

    Pour la persuader aux peuples de Chine, il leur contait le trait suivant.

     

    Dans une ville de l'Asie

    il existait deux malheureux,

    L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux.
    Ils demandaient au ciel de terminer leur vie ;

    Mais leur cris étaient superflus,

    Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,

    Couché sur un grabat dans la place publique,

    Souffrait sans être plaint ; il en souffrait bien plus.

    L'aveugle à qui pouvait nuire,

    Etait sans guide, sans soutien,

    Sans avoir même un pauvre chien

    Pour l'aimer et pour le conduire.

    Un certain jour il arriva

    Que l'aveugle, à tâtons, au détour d'une rue,

    Près du malade se trouva ;

    Il entendit ses cris ; son âme en fut émue.

    Il n'est tels que les malheureux

    Pour se plaindre les uns les autres.

    " J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres,

    Unissons-les, mon frère ; ils seront moins affreux."

    "Hélas ! dit le perclus, vous ignorez mon frère,

    Que je ne puis faire un seul pas,

    A quoi nous servirait d'unir notre misère ?"

    " A quoi ? répond l'aveugle ; écoutez, à nous deux

    Nous possédons le bien à chacun nécessaire ;

    J'ai des jambes et vous des yeux :

    Moi, je vais vous porter ; vous, vous serez mon guide,

    Vos yeux dirigerons mes pas assurés :

    Mes jambes à leur tour, iront où vous voudrez.

    Ainsi, sans que jamais notre amitié décide

    Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,

    Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi."

    Jean-Pierre Claris de Florian

     

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